Le procès du consentement

- Sélection Festival du Film documentaire de Thessalonique 2022
- Diffusion du documentaire : Infrarouge sur France 2, le mercredi 27 avril à 22h45

Présenté en avant-première au Festival du Film documentaire de Thessalonique, Le Procès du 36 documente le traitement médiatique et judiciaire de la plainte pour viol déposée à l’encontre de policiers de la BRI en 2014. Si le procès de 2019 a vu condamner à 7 ans de prison les deux accusés, l’Appel du 22 avril 2022 à Créteil les a innocentés..

Résumé : En 2014, l’évènement était passé presque inaperçu en France : une Canadienne, en vacances à Paris, avait porté plainte contre des hommes du 36 quai des Orfèvres, pour viol. Abordée dans un pub des quais de Seine, proche du « 36 », par plusieurs hommes se déclarant policiers, elle avait accepté leur invitation à visiter les locaux de la prestigieuse unité de police, présentée à la touriste comme un sanctuaire de la police française et haut lieu de plusieurs tournages. Emily Spanton ne s’attendait pas à trouver un commissariat désert, pas plus que son état d’ébriété avancée ne l’avait préparée à ce qui allait suivre. Pendant plus de vingt minutes, dans un bureau fermé, elle fut violée collectivement, put-elle dire par la suite. La tournure judiciaire qu’allait prendre l’affaire aurait pu ne jamais exister et tient à quelques détails qui la sauvèrent. Si lors du premier procès, en 2016, les accusés, deux policiers désignés précisément, furent relaxés, l’appel, en 2019, les vit condamnés à sept ans de prison ferme. La vague de fond #Metoo était passée par là, et avait braqué ses lumières sur l’affaire, faisant enfin émerger la notion centrale de consentement. Dans ce documentaire signé Infrarouge, diffusé sur France 2 le 27 avril à 22h45, Ovidie choisit de se pencher sur ce procès de 2019 et sur le traitement judiciaire et médiatique de l’affaire. NDLR : le second procès en appel s’est tenu en avril 2022 et a innocenté les deux accusés.

Critique : Ce pourrait n’avoir été qu’un fait divers, traité rapidement par une justice débordée et vite classé. Mais ce viol présumé implique des dépositaires de l’autorité publique, de prestigieux membres de l’élite de la police : « le 36 ». Et la victime n’est pas tout à fait habituelle : Emily Spanton est canadienne, d’une part, et donc moins impressionnable par l’aura du « 36 » qu’une Française à qui la même histoire serait arrivée ; et d’autre part, elle est elle-même fille de policier. Alors quand elle sort, en état de choc, du bureau où elle affirme avoir été violée, elle appelle son père resté au Canada. L’idée est salutaire car celui-ci lui conseille de ne pas quitter les lieux avant d’avoir été entendue et d’avoir déposé plainte. C’est un agent ordinaire qui recueille son témoignage ; il ne sait pas qu’il vient de donner vie à une procédure de plusieurs années.

Dans Le Procès du 36, Ovidie rassemble des témoignages extraits des minutes du procès de janvier 2019. Pour les mettre en scène, la réalisation a recours à plusieurs supports visuels. Tantôt les voix off se succèdent sur fond de bords de Seine. Tantôt des croquis d’audience sont projetés sur les murs de la cour d’assises. Parfois, le documentaire utilise la reconstitution, dans une image jaune un peu inattendue, ou encore des extraits de vidéosurveillance issues du pub où a commencé l’affaire. Cette narration est émaillée d’entretiens avec différents journalistes judiciaires, dont Marie Barbier et Thibault Chevillard, mais aussi avec des protagonistes du procès : Anne-Laure Compoint (avocate de la défense), Sophie Obadia et Mario Stasi (avocats d’Emily Spanton), Philippe Courroye (avocat général). Enfin, le documentaire s’envole au Québec, pour tendre le micro aux parents d’Emily. La jeune femme, qui a trouvé refuge chez eux depuis cette sombre histoire, y témoigne aussi, de sa voix rauque de grande fumeuse.

© TDF24 – Le Procès du 36, Emily Spanton

La bande-son, œuvre de Geoffroy Delacroix, compositeur de la musique des autres documentaires d’Ovidie (Là où les putains n’existent pas, Pornocratie, Tu enfanteras dans la douleur, À quoi rêvent les jeunes filles ?), renforce le côté glacé du documentaire par un effet de métronome permanent qui cliquette en arrière-plan, oppressant insensiblement le spectateur et créant une forme d’urgence.
Car il est bien question d’urgence ici. Urgence de sortir des clichés : oui, une femme a le droit de boire ; oui, une femme peut s’habiller de façon sexy ; oui, une femme peut flirter ; oui, une femme peut s’arrêter de flirter quand elle le décide.

On voit bien, tout au long du documentaire, que ce n’est pas acquis et que c’est loin de l’être. Pas seulement au travers des propos ignobles que les policiers tiennent entre eux au sujet d’Emily Spanton et dont témoignent certains SMS qu’ils ont échangés : Ovidie désigne aussi la procédure judiciaire comme complice d’un mode de pensée rétrograde et infantilisant. L’enquête poussée de personnalité, opérée sur Emily Spanton, la convocation de témoignages inopportuns parmi lesquels celui de son ex-mari qu’elle ne fréquente plus depuis des années, tout ce qui concourt à disqualifier et à déstabiliser la plaignante, révèlent une inversion de l’accusation. La femme tentatrice, la femme de mœurs légères, vient déranger l’ordre de la société. Ordre représenté, lui, par les accusés que soutient une institution puissante.

© TDF24 – Le Procès du 36

Dans un contexte où le féminisme est de nouveau sur la sellette, cible d’attaques, et comme en gueule de bois après le cri de guerre #Metoo, Le Procès du 36, malgré son hésitation formelle, a le mérite de réaffirmer des droits fondamentaux : le droit à l’impartialité de la justice, le droit d’être considérée, pour une victime, et surtout le droit de vivre librement sa vie sans s’excuser auprès de quiconque. Le chemin est encore long.

 


Une critique publiée sur À Voir – À Lire.com, visible ici.
Voir aussi notre interview d’Ovidie.