À Belfast, une école fait le pari fou d’une éducation philosophique et spirituelle dès le plus jeune âge. Un documentaire-remède.

- Sélection Festival du Film documentaire de Thessalonique 2022
- Prix : Prix Spécial du Jury (compétition internationale)

Résumé : Ardoyne, au nord de Belfast. Dans ce quartier en butte à la précarité et aux problèmes sociaux les plus violents (alcoolisme, trafic de drogue, chômage…), une école publique de garçons met en pratique, par un tour de force de son principal, Kevin Mc Arevey, les enseignements philosophiques des plus illustres penseurs, à commencer par Platon et son art de la dialectique. Dans cette Irlande de la working class délaissée, qui saigne toujours de la guerre civile, la démarche peut ressembler à une éducation alternative. Bien plus que ça, elle constitue un plaidoyer pour la tolérance, l’espoir de briser le cercle vicieux de la violence, et d’apporter, enfin, la paix.

Critique : Aristote, Confucius, ou Socrate : qui aurait pu croire que ces noms éveilleraient l’intérêt de très jeunes Irlandais de Belfast depuis leur école catholique ? Kevin Mc Arevey, lui, fait le pari que c’est possible. Cet étonnant directeur d’école, chauve, yeux bleus, petites dents rieuses, semble sorti d’une bande dessinée, quelque part entre Pascal le grand frère et Monsieur Propre. Fan d’Elvis Presley, dont il décline l’image à loisir autour de lui, sur une chope, sur des figurines ou des horloges, l’homme met en pratique l’adage « un esprit sain dans un corps sain ». Il se vêt avec soin, s’adonne à la musculation. Le voici paisible, tenu, prêt pour les bagarres de la cour de récréation, les insultes et les divers conflits à régler tout au long de la journée.

 

© TDF 24 – Young Plato

Les élèves, à qui on donnerait le bon Dieu sans confession, à les voir bien rangés dans le couloir, impeccables dans leur uniforme noir et rouge, sont enclins, comme tous les enfants du monde, à se chamailler, à se battre, et parfois pire. Ils ne sont pas indemnes du conflit irlandais ni de la précarisation criante des leurs. Leur quartier filmé par drone dès le début du documentaire tient en de longues rangées de lotissements en briques, de maisons étroites dupliquées par dizaines. Leur paysage quotidien est fait de murs, de barbelés, de cloisons, de peur. Pourtant, ce sont bien ces enfants, nourris d’anecdotes guerrières, de destins tragiques, qui désamorcent des conflits par la parole. Un enfant qui reconnaît un mauvais comportement est invité à l’analyser, à le déconstruire, et à lui trouver une issue favorable pour ne pas le répéter. Seul face à un tableau blanc, responsabilisé et guidé par la parole rassurante du principal, l’enfant écrit des concepts, des solutions, fait ses choix pour améliorer la situation.

Les scènes de dialogue collectif sont une joie parce que la parole de ces enfants est fraîche, spontanée et profonde à la fois, mais aussi parce que certains préceptes font un bien fou : reconnaître que l’on ne sait pas, attendre la fin d’une conversation pour donner son opinion. Simple et beau. L’école se définit comme a school full of children who are thinking about thinking (une école pleine d’enfants qui mènent une réflexion sur la réflexion). Bien qu’elle ne soit pas le remède à tous les maux – le documentaire s’arrête sur plusieurs drames – l’école est, ici plus qu’ailleurs, une oasis. On n’entre jamais dans les maisons des familles, la caméra est toujours tenue à distance. Les réalisateurs préfèrent se concentrer sur ce que les enfants ont de commun : les raisons de se diviser sont trop nombreuses, l’école les en protège. On pourrait regretter un traitement inégal de l’image, trop souvent terne, qui ne fait honneur ni aux visages ni aux décors, mais Young Plato est trop riche de sa substance pour le laisser dans sa caverne. Un documentaire universaliste à mettre dans toutes les mains, et pas seulement dans les plus petites.

 

 


Une critique publiée sur À Voir – À Lire.com, visible ici.