Giorgos Gousis, jeune réalisateur grec, filme son frère Panos, champion viril de bras-de-fer aux facettes inattendues. Un documentaire rare et original dans une Grèce trop peu représentée, récompensé entre autres du Prix FIPRESCI à Thessalonique.

Résumé : Son visage régulier, impassible, son air résolu, et surtout sa musculature saillante : si l’on croise Panayiotis (ou plutôt, Panos), lors de l’un de ces championnat de bras-de-fer auquel il participe régulièrement, on ne verra sans doute de prime abord qu’un énième culturiste, trop heureux de suer en public et d’arborer sa cuirasse de chair. Pourtant, Panos a plus d’une corde à son arc. Pour mener une existence à la hauteur de sa rage d’accomplissement, le jeune homme se lance, essaie, recommence. Il initie mille et un projets, certains tenant plus de l’expédient, d’autres impliquant de rebattre les cartes de sa vie, dans une poursuite éperdue de ses rêves. Qu’il achète un bus pour le transformer en cafétéria, qu’il ouvre un commerce à Athènes, ou qu’il se ravise et retourne dans son village natal, Panos cherche, tel un boxeur aveugle sur un ring trop étroit, à repousser les cadres imposés. Après avoir ébauché son portrait dans un premier court-métrage remarqué, en 2020, Giorgos Gousis, le propre frère de Panos, choisit de développer son récit en 77 minutes réjouissantes.

(Attention, divulgation d’éléments de narration)

Critique : Des plans grand-angle, méticuleusement composés, voient passer la petite silhouette de ce Sisyphe moderne. L’homme court. Sous un pont, dans une casse de motos, au bord d’un lac, devant un cimetière, il court. Petit homme dans le vaste paysage, Panos cherche la liberté, ou plutôt la libération. De quoi ? Nul ne semble le savoir, pas même lui.

© TDF 24 – The Arm Wrestler

On le découvre en tenancier de taverne, dans un village reculé de montagne. Ses clients, de vieux messieurs, des popes, tous habitués, s’envoient ici un tsipouro en chantonnant parfois des airs anciens. Panos est sympathique. Il parle à chacun et distille un humour très pince-sans-rire. Mais on le sent ailleurs. Et en effet, dans l’une de ces libertés que prend Giorgos Goudis, celle-ci consistant à capturer, avant de s’extraire de la narration, les confidences que lui fait son frère à titre personnel, Panos raconte son désarroi, son incompréhension du mode de vie et de subsistance des habitants du coin. En eux il voit la stagnation, se rêvant déjà ailleurs.
On ne tarde pas à découvrir cet ailleurs : installé peu de temps après à Athènes, le jeune homme entreprend de tenir un boui-boui de café et de sandwiches. Il vit maintenant avec sa compagne, Stefania, belle comédienne de théâtre, accordéoniste à ses heures perdues, une femme que l’on n’aurait pas imaginée à son bras. Les scènes filmées entre eux sont tendres, intimistes, inattendues.

Inattendu aussi, Panos en clown. Inattendus, ses propos d’homme faussement jaloux et sa grande tendresse ; inattendue, sa maladresse quand, accroché à l’un de ses amis, il marche prudemment dans le lit d’une rivière. Parfois l’homme ultra-viril et musculeux revient, se considérant dans un miroir, torse nu, ou se faisant raser les cheveux avant un combat de bras-de-fer. Mais il y a toujours un choix d’angle, de mise en scène, ou un propos tenu pour contrebalancer le cliché, lui apportant nuance et drôlerie.

Le documentaire The Arm Wrestler n’en finit pas de nous surprendre, dressant un portrait intime, complexe et touchant de l’étonnant Panos. Entre cinéma concret, de réalités prosaïques (un rideau de fer qui se bloque, un livreur qui démissionne, un concours à l’organisation chaotique) et des pérégrinations poétiques, voire lyrico-burlesques, comme dans la scène de réparation du bus, Giorgos Gousis manie une narration subtile et primesautière, pointant des failles sans les moquer, et révélant les grandeurs dérisoires d’un homme en quête d’absolu. Le réalisateur exerce aussi sa liberté artistique dans le maniement de la musique, tantôt diégétique avec une terrible techno-dance de salle de sport, tantôt superposée au film (on appréciera les compositions électro-indus de Haris Neilas et de Pan Pan).

© TDF 24 – The Arm Wrestler

Déjà fort du sensible et insatiable Panos, le documentaire réjouit le spectateur par ses recherches ludiques. Mais il va plus loin, en présentant en filigrane, presque malgré lui – élégance de la réalisation faussement nonchalante – le portrait d’une Grèce contemporaine trop peu représentée : paysages à l’identité hybride, ports industriels, villages à l’écart, téléphérique… Entre infinis urbains et vents de montagne, The Arm Wrestler montre ce monde en mutation dans lequel un homme n’en finit pas de se chercher. De ce récit bien moins léger qu’il n’en a l’air émergent force, vulnérabilité, temps qui passe. Le combat éternel des hommes se rejoue, dérisoire et arbitraire comme un bras-de-fer.

© TDF 24 – The Arm Wrestler, Giorgos Gousis, réalisateur

 


Une critique publiée sur À Voir – À Lire.com, visible ici.