Se donner la (petite) mort ? Une possibilité qu’envisage très sérieusement Emma Peeters, le personnage d’une comédie “plaisamment pessimiste”… Tout sourire, sa réalisatrice belge, Nicole Palo, nous a reçus.

Diffusé à l’Astor, ce lundi 8 avril, dans le cadre du Festival du Film Francophone, Emma Peeters est un film rafraîchissant… malgré son scénario. Actrice de 34 ans, Emma court les castings sans succès, quand elle n’occupe pas son emploi alimentaire de vendeuse en électro-ménager. Désenchantée, ayant l’impression qu’elle ne s’accomplira jamais pleinement, elle n’a plus goût à rien et se sent en décalage par rapport au monde. Elle en conclut calmement qu’il vaut mieux en finir. Emma organise donc son suicide, programmé une semaine plus tard ; elle prévient ses proches, et va jusqu’à commander son propre cercueil tout en dressant une liste de dernières actions à accomplir. Pour mettre à exécution son plan – et ainsi, elle-même – elle devra déjouer les stratagèmes de l’employé des pompes funèbres, Alex Bodart, qui, s’il se réjouit de sa prestation commerciale, semble pourtant bien avoir d’autres projets pour elle.

Coproduit entre Belgique et Canada, ce portrait contemporain d’une femme trentenaire jubile de son sujet a priori délicat. Le film, émaillé de références à l’histoire du cinéma et de clins d’œil musicaux, se veut « pilule thérapeutique », ôde aux plaisirs de la vie, à la création et à la légèreté. Pour son deuxième long-métrage, Nicole Palo signe là un objet malicieux, film que l’anglais résume parfaitement : un “feeling-good movie about feeling bad”. Rencontre.

Fanny Vaury : Votre scénario traite de l’idée du suicide. Vous avez déclaré que ce seul fait était difficile à faire accepter à des boîtes de production. Pensez-vous que ça l’est encore plus quand il s’agit de suicide féminin ? Franchit-on un tabou supplémentaire ?

Nicole Palo : Ah, c’est bien possible ! Je suis féministe, et sensible au fait que les femmes ont beaucoup d’obstacles à franchir durant leur parcours. Pourtant, je n’avais pas associé mon scénario à l’idée qu’il s’agisse d’un suicide féminin. Pour moi, par exemple, Woody Allen se suicide dans toutes ses comédies, il rit aussi de la maladie et ça n’a jamais posé problème à qui que ce soit… Peut-être effectivement que ça gêne, parce que la femme doit donner la vie ; à 35 ans, qui plus est, c’est l’âge auquel on pense à ça, si on ne l’a pas encore fait. Vous pointez là quelque chose, en effet…

On peut penser, quand on voit Emma Peeters, au récent Jeune Femme, de Léonor Serraille ou à la Reine des Pommes, de Valérie Donzelli. Assiste-t-on à la naissance d’une nouvelle typologie de portraits de femmes, plus complexe et contemporaine, plus humoristique aussi ?

C’est à espérer, oui, si nous sommes de plus en plus de femmes à réaliser des films. En tant que femme, on a une vision de ce que nous sommes un peu plus vaste et complexe que les rôles qu’on nous a donnés jusqu’à maintenant. Il n’y a pas une “nouvelle femme”, il y a beaucoup de femmes. Plus nous serons, plus nous pourrons montrer une vision plurielle.

© CFA – Imagine

À votre avis, comme l’a avancé une spectatrice après la diffusion du film à l’Astor, y a-t-il un cinéma de femme ? Peut-on reconnaître un film “de femme” en le voyant ? Et y a-t-il un humour “féminin” ?

Je n’irais pas jusqu’à dire qu’il y a un humour féminin. Mes deux références humoristiques sont Billy Wilder et Woody Allen. Je ne pense pas qu’en matière d’humour, on rie différemment. Le rire, c’est universel, c’est humain. Moi, je préférerais d’ailleurs qu’on ne me dise pas que c’est un film de femme, que les gens aillent juste voir un film sans savoir qui l’a fait et qu’ils apprécient simplement le film pour ce qu’il est. Cependant, il y a de petits détails qui font qu’on peut reconnaître un film “de femme”. Je dis souvent en riant qu’on peut le reconnaître aux scènes de sexe, parce qu’en général, elles sont un peu plus réalistes : le plaisir féminin est moins bien compris par les réalisateurs hommes. C’est à ces scènes-là qu’on peut avoir quelques indices… (rire)

Je pense qu’à terme, il faudra arrêter de pointer le sexe des réalisateurs… Mais pour l’instant, malheureusement, on a peut-être encore besoin d’un petit coup de pouce.

Votre expression, très efficace en anglais, un « feeling-good movie about feeling bad », résume bien l’état d’esprit du film. Si on essaie, mois de la francophonie oblige, de trouver une traduction aussi vive en français, c’est un peu difficile…

Oui, on avait trouvé « un film plaisamment pessimiste », mais c’est moins “punchy”. D’ailleurs, la traduction du titre en Grèce, Happy Suicide, a été trouvée à l’Institut Français. Ce n’est pas le titre international et j’ai été agréablement surprise de la proposition car d’habitude, le mot “suicide” était censuré. J’ai bien aimé qu’ici, ils osent le traduire ainsi.

Côté musique du film, vous avez sollicité le prestigieux compositeur canadien Robert-Marcel Lepage pour des compositions originales. Comment avez-vous travaillé tous les deux ?

Étant musicienne aussi, j’aime beaucoup penser à la musique. Bien avant le tournage, j’ai rencontré  Robert-Marcel Lepage ; on a discuté en amont des musiques qui me plaisaient. Il a composé une dizaine de maquettes avant le tournage. Ce qui est assez fou, c’est qu’il avait tapé juste. Quand ma monteuse, Frédérique Broos, a commencé à monter, pendant le tournage, on a pu commencer à essayer de juxtaposer les musiques composées. Ce n’étaient alors que des maquettes, mais c’est dingue, il avait complètement saisi ce qui allait fonctionner dans le film, à la seule lecture du scénario.

J’aime beaucoup travailler comme ça, avec déjà des idées de musique ; je ne tourne pas les scènes en fonction de la musique, non plus (et certains morceaux à l’état de maquettes nécessitaient encore d’être retravaillés), mais on était dans le juste.

Par ailleurs, comme on avait un petit budget, on ne pouvait pas s’offrir les droits des Doors, par exemple : Robert-Marcel Lepage en a donc fait des pastiches, de même que pour Cheek to Cheek de Fred Astaire.

Dans Get born, votre premier film, vous évoquiez des jeunes gens de 20 ans, face au vertige existentiel, eux aussi, tiraillés entre désenchantement et aspiration au bonheur, à l’amour. Vous sentez-vous cinéaste de la jeunesse, ou de la post-adolescence ?

Je dirais plutôt “cinéaste d’un cinéma existentiel mais qui ne se prend pas au sérieux”. Je pense qu’on a plusieurs âges-charnières dans sa vie. Get Born parlait du fait d’avoir 20 ans et d’entrer dans l’âge adulte : de grands adolescents qui ne savent pas encore qui ils sont et ont besoin des premières déceptions amoureuses pour entrer dans l’âge adulte. Dans Emma Peeters, à 35 ans, on n’est pas  non plus vraiment adulte, finalement. La déception tient plus dans la question « Ah, c’est ça, la vie ? Zut, je croyais que ça allait être mieux. Ça vaut la peine de continuer, oui, ou non ? »

Je pense qu’il y a beaucoup d’âges, comme ça, où on doit dépasser l’image qu’on a de soi. On s’accepte tel qu’on est – ou pas, d’ailleurs – mais il faut décider quelque chose pour pouvoir poursuivre. Pour moi, on renaît constamment, dans la vie : c’est toujours soi, mais plus on avance dans la vie, plus on se connaît, et plus on est heureux, enfin je l’espère… Je suis plutôt plus heureuse aujourd’hui que je ne l’étais à 20 ans, donc il y a de l’espoir ! (rire)

Et être adulte, ça a un sens ?

Oui, non, finalement, moi je n’ai pas très envie d’être adulte. Dans la vie, je préfère rester une enfant dans l’âme.

Et si je suis désespérée dans la vie à 34 ans, y a-t-il autre chose que l’amour qui puisse me sauver ? (rire). Dans votre film, sur un mur, apparaît la phrase de Dostoïevski « La Beauté sauvera le monde ». La création, l’art : une piste de salut ?

Oui, j’ai en tout cas l’impression que le film fait du bien : lors des festivals, les gens viennent me remercier. Je pense qu’en effet, il y a l’amour, les rencontres, et aussi les belles choses que l’on voit. Le film dit cela : que les choses belles peuvent arriver. L’amour ne sauve pas tout, mais disons qu’il faut s’ouvrir au monde et aux autres. Tant qu’Emma est enfermée dans ses problèmes, rien ne peut arriver. L’essentiel, c’est donc plutôt ça : l’ouverture sur le monde. Parce que si on ne regarde pas le monde, on ne peut pas y arriver.

Avez-vous des projets en cours ?

Je suis en train d’écrire sur le thème « qu’est-ce qu’être une femme ? ». J’ai envie d’écrire de nouveau une comédie sarcastique ou s’en approchant. Vous voyez, le film Boyhood ? Ce serait quelque chose comme ça, mais du type “Girlhood. Parce que pour moi, être une femme, c’est une construction sociale. « On ne naît pas femme, on le devient », comme dirait Simone de Beauvoir.

Pour moi, je ne suis pas une femme. Je ne veux pas qu’on me définisse comme femme avant tout, ça n’est pas partie de mon identité, je suis un être humain, je m’appelle Nicole Palo. Et oui, il se fait que je suis de sexe féminin. Il y a une construction sociale qui crée des attentes différentes dans la société, mais les choses pourraient être tout autres.

J’ai donc envie de parler d’une gamine « garçon manqué » qui, toute son enfance, ne voit pas la différence entre garçons et filles, hormis la différence biologique, et de la façon dont elle va recevoir des claques à l’âge adulte. Pour parvenir à ses fins, adulte, elle va devoir se faire passer pour un homme. J’ai vraiment envie de réaliser cette comédie : il est temps de dépasser les clichés…

Un film de Nicole Palo Avec Monia Chokri, Fabrice Adde, Stéphanie Crayencour, Andréa Ferréol

Scénario original : Nicole Palo

Durée : 1h30


Une interview publiée sur Lepetitjournal.com, visible ici