- Sélection Festival du Film documentaire de Thessalonique 2022
- Prix Amnesty International

La trajectoire très incarnée de la chaîne Dozhd TV, porte-étendard des libertés sexuelles et politiques en Russie.

Résumé : Jet-setteuse, danseuse acharnée et figure des nuits moscovites, Natalya Sindeyeva a épousé Sasha, un homme fortuné. Elle pourrait se contenter de poursuivre sa vie hédoniste. Pourtant, presque par hasard, cette femme au tempérament de feu se met en tête de lancer une chaîne de télévision, dans une Russie à laquelle tout réussit, peu de temps après l’accession au pouvoir de Poutine, puis de Medvedev. D’abord célébrée, la chaîne Dozhd TV va très vite devenir la cible du Kremlin pour sa trop grande liberté de ton en matière de politique ou d’orientation sexuelle. En choisissant de la mettre au ban, Poutine a en fait renforcé les convictions de l’équipe qui se sent désormais investie d’une mission : témoigner, quoi qu’il en coûte.

Critique : Évidemment, à l’heure actuelle, le documentaire, présenté en première mondiale à Thessalonique, résonne un peu plus fort. C’est peu dire que la séance était attendue, et la salle comble, pour découvrir l’épopée de Dozhd, suivie d’une discussion avec la réalisatrice russe Vera Krichevskaya et Natalya Sindeyeva, fondatrice de la chaîne et sujet du documentaire. Malheureusement, le malaise s’installe très vite. Le récit, qui s’articule en chapitres chronologiques chapeautés de titres néon rose fluo, s’ouvre sur la villa luxueuse, la voiture rose, puis le mariage au luxe kitschissime de Natalya Sindeyeva. Une voix off, celle de la réalisatrice, achève de donner, dans un anglais à l’accent russe, une franche teinte de Desperate Housewives à cette entrée en matière, démarche qui n’aurait d’intérêt que si elle s’accompagnait d’humour. La suite confirme ce malaise en développant un culte de la personnalité grandissant autour de Natalya.

© TDF24 – F@ck This Job

La fondatrice de Dozhd force pourtant bien l’admiration, elle qui accomplit un défi immense : celui de tenir bon dans la tempête et de faire de son média une source d’information accessible à tous, alors qu’à tout instant, la menace plane d’être convoquée par le Kremlin, voire d’être désignée comme « agent de l’étranger ». Mais en ne montrant presque que les effets de cette menace dont Dozhd fait l’objet, et les efforts, matériels notamment, qu’il lui faut fournir pour tenir (siège de la chaîne déplacé plusieurs fois pour des locaux chaque fois plus inconfortables), le documentaire en évacue les causes. En se focalisant sur les tergiversations des uns et des autres, sur la défense de l’identité très marketée de la chaîne, et surtout sur les répercussions, y compris physiques, qu’ont les pressions politiques sur la vie privée de Natalya, F@ck This Job déplace l’émotion et transforme un témoignage possiblement fort en occasion de sensiblerie pleurnicharde. Celle-ci culmine quand on suit Natalya, torse nu, dans un scanner : on lui a diagnostiqué un cancer du sein.

© TDF24 – F@ck This Job

La réalisatrice, Vera Krichevskaya, met aussi en scène son adhésion au projet Dozhd, puis son éloignement de la chaîne : on n’en saisit ni les enjeux ni la teneur. On ne comprend pas non plus comment, brouillée avec la protagoniste, Vera continue de la filmer. Cela n’apporte au récit qu’une superficialité de plus. C’est dommage car l’équipe de Dozhd, si elle semble par la suite avoir viré à la start-up gesticulante, se compose de journalistes courageux qui ont mené – et perdu – d’importantes batailles dans une Russie muselée.
F@ck This Job aurait gagné à brosser en arrière-plan un portrait plus ample de la Russie médiatique des vingt dernières années. En ne parvenant pas à extraire la vraie grandeur des personnes qu’il filme, ni l’héroïsme d’un projet plein de panache, le documentaire déchoit de ses ambitions.

© TDF24 – F@ck This Job

 


Une critique publiée sur À Voir – À Lire.com, visible ici.