Pour sa première au Festival international du film documentaire de Thessalonique, Eternal Spring a remporté un franc succès auprès du public.

- Sélection Festival du Film documentaire de Thessalonique 2022

Résumé : En mars 2022, une chaîne nationale de la télévision chinoise fut hackée par des membres de Falun Gong, groupe spirituel d’obédience bouddhiste déclaré hors-la-loi par le gouvernement chinois. La Chine était alors le seul pays au monde à procéder à cette mise au ban de millions de fidèles pacifiques. Pendant plusieurs minutes, des vidéos furent ainsi diffusées en direct pour présenter une autre image de Falun Gong, et réfuter les accusations infamantes qui pesaient sur le mouvement. La police se mit sur-le-champ à traquer les organisateurs de la résistance. L’enquête fut longue mais hélas couronnée de succès. Les activistes, traduits en justice, connurent les pires sévices en prison, dans des camps de redressement, avant d’écoper de peines extrêmement lourdes. Certains n’y survécurent pas. À partir des dessins grandioses de Daxiong, membre de Falun Gong exilé à New York, proche des organisateurs de la résistance, {Eternal Spring} revisite toute l’affaire en combinant animation 2D, 3D, et film réel. Une investigation à suspense ultra-prenante, qui emprunte à des codes narratifs pop pour nous faire plonger dans l’horreur, mais aussi et surtout pour ériger en modèles les protagonistes de l’affaire, amoureux de vérité et de justice.

Image extraite du film

 

Critique : « Je suis plus un survivant qu’un membre clef », affirme modestement Mr White, rescapé des persécutions de la police chinoise, à qui Daxiong rend visite en Corée du Sud. L’un des enjeux d’Eternal Spring est de rendre compte de cette réalité, celle de la torture et de toutes les violences extrêmes subies par les membres de Falun Gong. Violences d’État, précisons. Cinq ans de travail acharné pour donner vie au langage pictural de Daxiong, cinq ans d’animation, de matte painting, de modélisation, n’auront pas été superflus pour créer cette narration complexe par sa structure mais très accessible au néophyte. De flash-back en témoignages actuels, le langage des images parle fort.

Extrait du film : table du dessinateur

Le recours à l’art de Daxiong est essentiel. Le dessinateur chinois, lui-même traumatisé par la répression et les interrogatoires qu’il a subis, a un besoin viscéral de dessiner les témoignages qu’il recueille auprès de ses compatriotes. Toute l’équipe de Jason Lofthus, réalisateur canadien de cet ouvrage ambitieux, donne ensuite vie au dessin en 2D, pour reconstituer l’indicible. Le spectateur a la sensation extraordinaire que l’on recrée sous ses yeux des archives : on fait revivre le passé. Mieux encore, on donne vie aux trajectoires de chacun des personnages ; la singularité s’invite dans le groupe, tout l’inverse de de la société rêvée par les autorités chinoises. On ne peut s’empêcher de songer à Valse avec Bachir d’Ari Folman pour l’efficacité graphique et narrative des choix opérés. Le spectateur est pris dans un suspense absolu. Comment l’équipe de dissidents se constitue-t-elle ? Comment le sabotage va-t-il réussir dans cette société contrôlée de A à Z ? La narration semble emprunter à GTA pour les codes graphiques, à Reservoir Dogs pour la caractérisation des personnages, renforçant l’effet de tension dramatique.

A priori très ordinaires et surtout très humbles, les personnages présentés sont de véritables héros, presque malgré eux, par sens du bien commun. Mais qui se dresse devant le Parti va souffrir et si on l’ignorait encore, on découvre qu’en Chine « on tuerait des milliers de personnes pour en trouver une seule ». De cette Inquisition toujours d’actualité en Chine, Jason Loftus tire un superbe film, recueilli et énergique à la fois. Il oppose, par les voix de Daxiong et de ses compatriotes, un modèle artisanal de liberté et de courage à la terrible machine de propagande chinoise. Puissions-nous tous affirmer, comme l’un des personnages, Big Truck : « A man should be strong ». Tout homme se doit d’être fort.


Une critique publiée sur À Voir – À Lire.com, visible ici.