Un film sympathique et grave à la fois, au propos humaniste, qui vous emmène dans la fraîcheur des montagnes de Macédoine, à la suite de Petrunya.

Résumé : Dans un village perché de Macédoine, Petrunya fait l’objet d’un décryptage pesant et permanent. Pour tel entretien d’embauche, il lui faudrait dissimuler son âge, sa stature massive et jusqu’à son prénom. Son titre d’historienne, personne n’en a cure. Non mariée à 32 ans, vivant chez ses parents, elle cause les plus grandes inquiétudes d’une mère-poule. Et puis mieux vaut qu’elle ne croise pas le chemin de cette bande de jeunes hommes surexcités, brandissant leur virilité à coups d’insultes dégradantes. Alors, le jour où sans réfléchir, seule femme parmi les jeunes hommes torses nus, Petrunya se jette dans la rivière pour attraper la croix pascale qu’y jette le pope orthodoxe, promesse d’un an de réussite et de bonheur, c’est bien malgré elle que Petrunya déclenche un scandale à l’effrayant effet boule de neige. Le film est inspiré d’un fait divers macédonien : une jeune femme s’était bel et bien jetée à l’eau en 2015, déclenchant l’ire des plus conservateurs de ses compatriotes.

© Labina Mitevska

Notre avis : Depuis son premier court Veta, Mention spéciale à Berlin en 2001, Teona Strugar Mitevska a bénéficié d’une exposition européenne bien méritée. Deux longs métrages plus tard – How I killed a saint et When the day had no name -, la réalisatrice macédonienne revient avec Dieu existe, son nom est Petrunya, déclinant ses thèmes de prédilection, l’accomplissement de soi dans une société gangrenée, et les trajectoires singulières contre vents et marée. Une certaine idée de la femme aussi, de la confiance en soi et de la conscience de soi qu’elle doit acquérir pour faire avancer le monde.

Scrutant les accointances entre pouvoirs politique (ici local) et religieux, et pointant ainsi d’une façon plus générale les travers d’une société malade de patriarcat, Dieu existe, son nom est Petrunya propose ainsi le portrait admiratif d’un être intègre, droit, entré en résistance presque malgré lui. Cet être, c’est Petrunya, qui brise plusieurs interdits, au risque de s’isoler. Il lui faut se heurter au machisme d’un employeur, aux grossièretés, puis à la violence d’une bande de jeunes loups, aux manigances douceâtres d’une Église qui, à deux doigts d’accepter sa victoire, craint de se mettre à dos le village. Il lui faut aussi composer avec la présence d’une journaliste inquisitrice et de son caméraman, lesquels cherchent le scoop.

On pourrait craindre la quasi crucifixion du personnage, mais le film évite l’écueil de l’excès de violence et souscrit à un certain naturalisme sans pathos, tout en s’autorisant des compositions picturales plus pop. Un joli cadrage et une composition morcelée de l’image soulignent les brèches qui séparent les personnages et créent en même temps un espace de l’entre-deux, entre deux portes, entre deux pièces, entre deux mouvements. Tantôt derrière une vitre, tantôt derrière un axe métallique, les visages sont parfois masqués ou partiellement coupés. La caméra passe aisément de plans fixes en épaule, d’ample plongée en portrait étroit. L’image est libre.

© Labina Mitevska

S’il ne se cantonne pas à un lieu, le film donne une impression de huis clos intimiste. Que ce soit dans le foyer familial où furète une mère omniprésente ou dans le commissariat, qui voit se dérouler une bien étrange garde à vue, Petrunya présente son visage déterminé et ses yeux sombres, souvent en plan serré. Peut-être est-ce là que pèche le film : dans la démonstration un tantinet appuyée de l’intégrité et de la droiture de sa protagoniste. On pourrait éviter une séquence avec regard caméra, qui prend à témoin le spectateur et l’assure de la résolution de Petrunya.

A l’inverse, le premier regard caméra de la journaliste nous surprend. D’une part, il trouve sa place dans le scénario et d’autre part, il donne au film l’une de ses jolies étincelles d’humour. Le film est d’autant plus vivant que ses acteurs sont très justes, et leur ton ultra naturel : l’écriture des scènes non figée, ouverte aux improvisations, leur donne le champ libre.

En somme, voir Dieu existe, son nom est Petrunya, c’est faire un tour en Macédoine, plonger dans l’eau glacée de montagnes aux coutumes pluriséculaires. C’est observer un pope finement interprété, tiraillé entre son obligation morale d’être honnête et les intérêts de son Église, un policier serviable, un autre hargneux, ou encore une mère malmenée par sa fille, au mépris de certains interdits – à juste titre. C’est aussi cette meilleure amie enviant Petrunya, car désormais « les hommes lui parleront et elle sera populaire ».

© Labina Mitevska

Dieu existe, son nom est Petrunya vous offre le sympathique portrait d’une jeune femme, figure à la fois humble et héroïque qui veut « juste être heureuse cette année ». D’une personne qui désire simplement vivre, en ignorant les carcans et les injonctions d’un monde encombré de canons et de lois tacites, archaïques. Le film célèbre aussi le caractère fortuit de l’épanouissement possible ; le comportement arbitraire et presque accidentel devient soudain grandeur, l’héroïne mûrit et se déploie, sans doute elle-même première étonnée de sa force. Une façon de dire que chacun peut gagner en confiance et bâtir un peu de notre monde.

© Labina Mitevska

Un article publié sur À Voir – À Lire.com, visible ici.