Un drôle de documentaire qui n’évitera pas les balles sur fond de folie états-unienne : itinéraire d’un hurluberlu très équivoque… et très armé.

Résumé : Richard Davis a tiré 192 balles sur lui-même. Richard Davis a sauvé 3000 vies. Richard Davis a possédé 3 pizzerias. Richard Davis a vendu plus de 100 000 gilets pare-balles à l’armée américaine. Richard Davis aura-t-il droit à une seconde chance ? Présenté à Thessalonique en première européenne, ce documentaire de Ramin Bahrani est parti sur les traces de… Richard Davis.

© TDF 24 – 2nd Chance

Critique : En optant pour un découpage en chapitres à la typographie jaune seventies, le réalisateur américain Ramin Bahrani donne le ton : le récit sera pop, enlevé, aura une touche de kitsch, et devrait nous tenir en haleine. En effet, on découvre très vite l’un de ces hurluberlus dont seuls les États-Unis ont le secret : Richard Davis, inventeur d’un gilet pare-balles allégé, est un Américain moyen, un peu balourd, qu’aucune grâce particulière n’a touché, si ce n’est, non négligeable, le talent d’inventeur.

Des vidéos « maison » artisanales témoignent des essais multiples – et heureux – auxquels Davis procède sur lui-même pour mettre à l’épreuve son précieux gilet. Se dessine une personnalité loufoque, plutôt sympathique, ou tout du moins amusante.
L’homme a l’art de se mettre en scène, proposant un marketing incarné farfelu au service de 2nd Chance, la société qu’il a créée et qui produit les gilets pare-balles à grande échelle. Ainsi de cette brochure publicitaire qu’il orne d’une couverture titrée « Sex & Violence » et mouchette de photos de bimbos, ou de ces vidéos pastiches de nanars dans lesquels les policiers, vêtus de ses gilets, bastonnent du hippie gauchiste à tout va. Richard Davis peut tout se permettre : son entreprise familiale a grandi, il est devenu un notable indispensable, premier employeur de sa ville dans le Michigan.

Curieusement, celui qui prétend avoir sauvé mille vies d’agents de police grâce à son invention défensive est lui-même devenu accro aux armes à feu. Il tire toute la journée dans son jardin, transformé en terrain d’essai. Très vite, le portrait de Richard Davis se fissure, les premiers doutes émergent. Un jeune homme se présente comme celui que Davis a essayé de soudoyer pour se protéger de l’accusation d’une voisine : des balles issues de ses tirs quotidiens ont atterri chez la femme, lui causant un choc. Pourquoi Aaron, fidèle allié de Richard Davis, s’en est-il lui aussi visiblement éloigné ? Et surtout, qu’est-il arrivé à la qualité légendaire des gilets de 2nd Chance ? C’est ce que le documentaire cherche à comprendre, en narrant une success story à l’américaine, celle d’un Icare, qui, comme tous les Icare, va tomber. Si le spectateur n’est pas loin de s’attacher aux protagonistes, et si le documentaire est efficace, bien ficelé, on reste plutôt froid devant cet être visiblement retors que ses failles n’arrivent pas à rendre touchant. On fait de son narcissisme un désir d’être aimé, de son cynisme de l’humour, de son goût pour le mensonge de la créativité. Tout cela a quelque chose de vain.

Le divertissement opère, on ne s’ennuie pas, mais il laisse un arrière-goût un peu fade, voire la sensation d’être berné. Pas par Richard Davis qui distord la réalité mais par le réalisateur lui-même, lorsqu’il orchestre par exemple les retrouvailles larmoyantes d’un tireur et de sa victime. La scène, filmée dans un terrain vague, est l’occasion, vague elle aussi, de distiller une morale sucrée, dégoulinante de pardon et de bons sentiments. Ce travail, faussement enjoué, et finalement très sage, s’il est distrayant, manque sa cible en ne choisissant pas le radicalisme hirsute d’une narration à la Tigerman, par exemple, ou la sobriété d’une enquête plus sombre sur ce qui constitue un véritable scandale, voire en fait une tragédie sur fond de tragédie.

 


Une critique publiée sur À Voir – À Lire.com, visible ici.